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Programme
Colloque « Travail, technique et nature dans l’Anthropocène », 2-3 décembre 2022
VENDREDI 2 DÉCEMBRE
09h-10h45 (2 ateliers en parallèle)
Travail de la nature
Delphine Pouchain, « Penser la nature par-delà le travail et la technique : de l’exploitation à l’usage ? »
Carl Pierer, « Aliénation et reproduction du monde habitable : Le travail hybride dans l’Anthropocène »
Rémi Beau, « Le travail de la nature entre exploitation et approche symbiotique. Le cas de l’ingénierie écologique »
Critiques des exploitations
Philippe Kernaleguen, « Marxisme et darwinisme : pour une critique socio-écologique de l’hypertélie capitaliste »
Timur Uçan, « Le besoin de démanteler l’extractivisme »
Pierre Le Masne, « Exploitation des hommes et surexploitation de la nature : relations et mesure »
11h-12h30 (plénière)
Anthropocène et rapports de production : quelles pistes d’action ?
Jacques Bidet, « L'écologie du commun du peuple »
Alain Lipietz, « Titre à venir »
14h-16h30 (2 ateliers en parallèle)
Besoins et travail dans l’écosocialisme
Luis Martinez Andrade : « Apports et défis de l’éco-socialisme hispanophone. Luttes socio-environnementales et articulation besoin/travail »
Céline Marty, « Produire le suffisant : la critique écologique et décroissante du travail chez André Gorz »
Gauthier Delozière, « Satisfaire les besoins, abolir le labeur – bidimensionnalité du travail et dualité de la nature chez Herbert Marcuse »
Nature, technique, ontologie
Benoît Sibille, « Ontologie naturaliste et praxis révolutionnaire : Relire Marx après Descola et inversement »
Cyril Debard, « De l’écologie du renoncement à l’activité technique comme activité artistique »
Benjamin Gizard, « Le capitalisme et le problème du Dehors. Ontologie et histoire dans l’écologie-monde de Jason W. Moore »
16h45-18h30 (plénière)
Critiques écoféministes du travail
Geneviève Pruvost, « Travail de subsistance et maisonnée : conceptualisations féministes »
Jules Falquet : « Perspectives marxistes et anti ou décoloniales dans l’écoféminisme »
Léna Balaud, « Recomposition ou décomposition de classe, dans et contre l’écologie du capital? »
SAMEDI 3 DÉCEMBRE
09h-10h45 (2 ateliers en parallèle)
Politique du végétal
Judith Bastie, « Des « vies improductives » : pastorat et paysannerie à l’ère des réformes forestières (XIXème siècle) »
Erwan Molinié, « Plantationocène et dépendance à la monoculture : le cas de la culture de la canne à sucre à la Réunion »
Jean-Baptiste Vuillerod, « Repenser le progrès depuis les pratiques agricoles écosocialistes : les cas de l’Atelier Paysan et du Réseau Semences Paysannes »
Marxismes écologiques
Davide Gallo Lassere, « Usine terrestre » et « composition socio-écologique ». Deux concepts pour repenser l’internationalisme dans l’Anthropocène »
Cannelle Gignoux, « Le paradoxe de l’ontologie négative chez Alfred Schmidt »
Marius Bickhardt, « Après la fin de la nature, esquisse d’un naturalisme pandémique »
11h-12h30 (plénière)
Technocritiques
Vincent Beaubois, « Capitalisme limbique et métabolisme technique
Cy Lecerf Maulpoix « Ce que les Queers ont à dire de la technique. Repenser la technocritique à partir d’expériences minoritaires »
Fanny Lopez, « Transformer les infrastructures, tenir la technique proche »
14h30-16h30 (2 ateliers en parallèle)
Alternatives dans la production
William Bernaud, « Vers des techniques soutenables et émancipatrices. Le low-tech comme renouveau de la technicritique »
Patinaux-Buu Sao, « Des mines de cuivre aux éoliennes. Travail, espace et destruction dans la production capitaliste d’énergie renouvelable ».
Birgit Muller, « Produire l’utile dans les collectifs alternatifs à Berlin Ouest »
Capucine Mouroux, « Penser la reconversion industrielle des filières par les travailleur.se.s dans un contexte de crise écologique. Le cas de la filière aéronautique »
Planification et État
Jean Autard, « Technologie, capital, « mégamachine étatique » : concevoir une critique conjointe»
Thierry Brugvin, « Comparatif entre différentes politiques de planification écologique, sociale et démocratique »
Donatien Costa, « L’ombre de l’État : fascination du socialisme pour le développement des forces productives »
16h45-18h30 (plénière)
Politiques du travail.
Rencontre et divergence des mondes ouvriers et écologistes en France
Fabrice Flipo, « Pluralisme des mouvements sociaux : une lecture satro-laclausienne »
Alexis Cukier, « Pour une révolution écologique, démocratiser le travail »
Véronique Martin, « Titre à venir »
Appel à communications
Travail, technique et nature dans l’Anthropocène
Une discussion politique entre marxismes et écologies
Colloque interdisciplinaire
2 et 3 décembre 2022, à la Halle aux Farines, Université de Paris
Organisé par : LCSP (Université de Paris Cité) et Institut Mines-Télécom BS, MAPP (Université de Poitiers), Sophiapol et Ireph (Université Paris Nanterre).
Comité d'organisation : Fabrice Flipo, Alexis Cukier, Paul Guilibert, Vincent Beaubois et Daria Saburova
Comité scientifique : Stéphane Haber, Elise Lowy, Jeanne Guien, Sacha Loeve, François Jarrige, Geneviève Pruvost, Jacques Bidet, Daniel Tanuro, Alain Lipietz (en cours de constitution)
Le Capitalocène désigne une nouvelle période dans l’histoire du Système-Terre où les effets écologiques des activités capitalistes modifient définitivement la biosphère. Pourtant, parler des causes économiques de la catastrophe environnementale ne résout pas le vieux débat entre marxismes et écologismes. En effet, d’un côté, les lectures marxistes pointent souvent le rôle des formes d’exploitation du travail dans l’émergence de la crise écologique. D’un autre côté, les écologismes ont davantage insisté historiquement sur sa dimension technique : un certain nombre de dispositifs seraient intrinsèquement problématiques (des moteurs à combustible fossile jusqu’aux réacteurs nucléaires, en passant par des procédés de modification du génome). Pour reprendre une ancienne distinction marxiste, on pourrait dire que, pour les uns, les « rapports de production » seraient responsables des destructions de la nature, tandis que pour les autres, ce sont les « forces productives » qui seraient à blâmer. Les marxismes seraient restés aveugle à la critique des techniques tandis que les écologismes auraient souvent oubliés l’importance de la lutte des classes et des rapports économiques dans le développement des techniques elles-mêmes. La problématique, posée par exemple par Dwight MacDonald aux États-Unis1 ou par Alain Lipietz, en France, n’a pas été suffisamment explorée : la divergence entre l’écologie politique et le marxisme « commun »2 ou le socialisme3 concernant l’articulation entre les rapports de production et les forces productives4. Cette opposition entre critiques marxistes du travail et critiques écologistes de la technique, qui recouvre un vaste corpus s’étirant sur plus d’un demi-siècle, soulève plusieurs séries de questions, historiques et théoriques, rarement discutées pour elles-mêmes.
La première série de questions concerne la dimension émancipatrice des techniques. Le marxisme dominant a longtemps véhiculé un discours de progrès et de confiance dans les forces productives libérées par le capitalisme, dont le socialisme puis le communisme viendraient prendre possession, pour les mettre au service des exploités. En dépit d’affirmations sur une « autonomie relative » de l’un par rapport à l’autre ou de « contradictions » entre les deux, on peut s’accorder avec l’argument de Bruno Théret et Michel Wievorka, par exemple, qui y décelaient un « fétichisme du progrès des sciences et techniques »5. Cette position a généralement été partagée par les différents socialismes (Kropotkine, Proudhon, Fourier etc.), sous des formes différentes. Elle fait des outils développés sous le capitalisme à la fois de simples instruments, facilement ré-orientables par un régime différent, et la condition de possibilité de rapports sociaux différents, qui adviennent peu à peu au cours de l’histoire, de manière « contradictoire ». Elle ajoute généralement que le développement technique, libéré des rapports capitalistes de production (« l’anarchie capitaliste »), ne connaîtrait plus aucune entrave et serait la condition d’une abondance d’où jaillirait la possibilité de toute émancipation. Cependant, les outils et technologies, les forces productives, développés sous le capitalisme sont-ils de simples instruments ? Peuvent-ils si facilement être réorientés vers des rapports sociaux et écologiques différents ? La promesse d’une réappropriation à venir doit-elle conduire à éconduire toute critique des outils ? On se rappelle en ce sens du mot de Marx lui-même : « il faut du temps et de l’expérience avant que l’ouvrier apprenne à distinguer la machinerie de son utilisation capitaliste, et donc transférer ses attaques du moyen matériel de production lui-même à la forme sociale d’exploitation de celui-ci »6. L’avènement de la bureaucratie, le maintien du productivisme dans les sociétés du socialisme réel au XXe et au XXIe siècle7 et les divergences persistantes entre mouvements écologistes et ouvrier montrent que la réponse n’est pas si simple. Par ailleurs, ce débat sur « la » technique, prise comme un tout, n’est pas suffisant et pose un certain nombre de problèmes. D’abord, parce qu’elle présente une vision bien trop abstraite et homogénéisante de dispositifs et d’outils extrêmement variés. Ensuite parce que les techniques sont envisagées comme des objets distincts plutôt que comme des ensembles de systèmes interconnectés (des systèmes informatiques, reliés à des réseaux de transports, reliés à des infrastructures énergétiques et logistiques, liés à des conventions internationales, etc.). Les systèmes techniques contemporains peuvent-ils être mis au service de politiques de libération ou imposent-ils au contraire des obstacles structurels qui conduisent à repenser l’émancipation dans un rapport étroit avec les politiques d’infrastructure ? Dans ce cas, comment penser le pilotage de l’innovation, entendu comme changement sociotechnique, transformation des modes de vie ? Ceux-ci ne sont-ils pas l’enjeu premier, que cherchent à atteindre tant la configuration des rapports de production que l’agencement des forces productives ? Le système productiviste se fonde sur une innovation visant à produire du « nouveau » par la création de besoins ou amélioration de la productivité avec laquelle ceux-ci sont satisfaits, les deux visant une reproduction élargie du capital employé – ce qui explique notamment les phénomènes d’obsolescence. Mais, puisque la planification centralisée a déjà montré ses limites, dans l’histoire du XXe siècle, quelles sont les structurations de l’innovation qui sont imaginables pour l’avenir dans une visée émancipatrice ?
La deuxième série de questions concerne la critique du travail dans les mouvements écologistes et la perspective d’une transformation du travail dans les marxismes. L’écologisme a souvent été en difficulté pour penser ses rapports avec les mondes et les logiques du travail, défendant tour à tour deux positions assez clairement distinctes, et contradictoires : d’un côté, la reprise de la thèse d’une libération du travail conduisant à de fortes réductions du temps de travail8, de l’autre, l’ambition d’abolir la forme-travail jugée commune au capitalisme et au socialisme9, au profit de la perspective d’un retour à la terre ou à des formes plus limitées de division du travail et de mécanisation10. Dans ses modes d’action cela conduit parfois les mouvements écologistes à court-circuiter l’expérience et la place des travailleurs·ses. N’y a-t-il pas une voie médiane pour une autre forme de travail, ni productiviste ni excessivement localiste ? Et dans ce cas, quelle transition peut-on envisager, avec les travailleurs et les travailleuses ? Que nous indique la voie ouverte par le collectif Plus Jamais ça, qui rassemble les deux types de mouvements11 ? Quelles leçons tirer des tentatives de marxisme écologique développées depuis les années 1990, qui ont montré qu’il existe des ressources dans la pensée marxienne utiles pour une critique écologiste du capitalisme, ouvrant sur un possible « écosocialisme » ? Et que penser des perspectives « d’écologie sociale » qui s’emploient à résorber l’écart entre écologie et enjeux sociaux ? Ces approches se concentrent trop souvent sur les questions les plus aisées, auxquelles des réponses existent, telles que l’agriculture, pour laquelle le métabolisme peut être équilibré (thèse du metabolic rift). Les enjeux du numérique ou du transport, par exemple, sont plus difficiles. Et surtout ces développements sont principalement théoriques, et manquent d’ancrage dans les pratiques sociales et politiques. Le problème de fond demeure : le projet marxiste d’une émancipation humaine par la fin de l’exploitation du travail et le projet écologiste d’une préservation des conditions d’habitabilité de la biosphère sont-ils compatibles ? Doivent-ils s’exclure, se soutenir mutuellement ou se poursuivre en parallèle ?
Ces questions doivent conduire à réactualiser celles qui s’étaient posées déjà avec le socialisme : petit geste ou révolution, socialisme dans un seul pays, organisation décentralisée (conseils) ou centralisée (« planification écologique »), etc. Il importe de prendre en compte également d’autres critiques de la technique, qui ont été formulées par le féminisme ou les perspectives post- ou décoloniales, conduisant à analyser l’anthropocène non seulement comme un capitalocène mais aussi comme un androcène et un plantationocène. Cette hésitation dans les termes à employer pour qualifier l’histoire en cours invite de nouveau à poser la question des implications de l’abandon des Grands Récits. Ce n’est pas seulement le « récit » qui a disparu, mais une conception de l’idée de Progrès d’autant plus simple et accessible qu’elle s’accordait en large part avec l’histoire qui avait lieu sous les yeux de toutes et tous. Pour réactualiser ou remplacer cette notion de progrès au prisme de la crise écologique, pour penser le rapport entre écologie et émancipation, nous proposons d’aborder dans ce colloque des questions fondamentales concernant le rapport entre travail, technique et capitalisme – et donc entre forces productives et rapports de production – dans l’Anthropocène :
Comment repenser le travail, ses sujets, ses moyens et ses finalités ? Dans quelle mesure les vivants travaillent-ils, la nature est-elle productrice de valeur, que signifie précisément l’exploitation de la nature ? Comment articuler production, reproduction des cycles de la nature et reproduction sociale ?
Comment repenser la technique, ses outils et ses systèmes, ses dépendances écologiques et ses évolutions sociales ? Qui dirige (ou gouverne) le changement technique (et social) : suivant quelles logiques économiques et politiques? Quelles technologies constituent des obstacles ou des instruments nécessaires de la révolution écologique ?
Comment repenser le capitalisme, son histoire et la perspective de son dépassement ? Son rapport au productivisme ? En quel sens un mode de production peut-il être écologique et démocratique ? Peut-on envisager des pistes de gouvernement futures qui soient à la hauteur des enjeux, et si oui sur la base de quelles alliances et de quelles stratégies ?
L’appel à contribution s’adresse aux chercheur.ses, précaires et titulaires, dans les domaines de la philosophie et des humanités environnementales, qu’ils.elles identifient leurs recherches ou non à un des courants du marxisme et/ou de l’écologie politique.
Les propositions peuvent venir de divers domaines disciplinaires, mais comporteront un effort de structuration et de conceptualisation des enjeux évoqués. Elles indiqueront la problématique traitée et le corpus ou terrain à partir desquels celle-ci est élaborée. Elles feront 4000 signes et sont à envoyer à colloque.fprp@gmail.com avant le 30 mai 2022.
Les travaux feront l’objet d’une publication. Un appui au déplacement pourra être fourni aux contributeurs ou contributrices précaires, dans la limite du budget.
2Jacques Bidet, Théorie générale, Paris, PUF, 1999. Voir également son ouvrage publié en 2022, L'écologie politique du commun du peuple, (éditions du Croquant) et à paraître prochainement en anglais chez Routledge.
4Alain Lipietz, « L’écologie politique et l’avenir du marxisme » (Congrès Marx International, Paris, 1995).
5Bruno Théret et Michel Wierworka, Critique de la théorie du « Capitalisme monopoliste d’Etat », Paris, La Découverte, 1978, pp. 11 à 18.
8Collectif ADRET, Travailler deux heures par jour, Seuil, Paris, 1977 ; André Gorz, Le socialisme difficile, Paris, Seuil, 1967 ; plus récemment Pierre Larrouturou et la semaine de 4 jours etc.
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